III. Mécanismes de récupération du capitalisme
1. Le coaching managérial : autonomie instrumentalisée
Depuis les années 1990, le vocabulaire de l’empowerment est intégré dans les outils du management néolibéral. Le coaching managérial prétend libérer les potentiels humains, mais vise surtout à accroître la performance et la productivité dans les organisations.
Loin de toute émancipation, il transforme l’individu en auto-entrepreneur de lui-même, responsable de ses échecs comme de ses réussites1. On parle d’autonomie sous contrainte, d’auto-exploitation ou de servitude volontaire internalisée.
2. Le développement personnel comme marché
L’industrie du développement personnel valorise le travail sur soi, mais dépolitise les problèmes sociaux. Stress, anxiété, précarité deviennent des affaires de gestion individuelle, et non d’inégalités structurelles.
Sous couvert d’empowerment, on vend à l’individu des solutions payantes à des souffrances systémiques : applications de bien-être, thérapies, retraites, livres. L’émancipation devient un produit à consommer, non un projet à construire2.
La figure du « self-made individual » domine : chacun est sommé de réussir par ses propres moyens – ce qui culpabilise les perdants et invisibilise les privilèges.
3. L’entrepreneuriat social : subversion édulcorée
L’essor des start-ups sociales ou de « l’innovation sociale » propose à des individus idéalistes de changer le monde par l’entreprise. Si certaines initiatives sont sincères, nombre d’entre elles sont intégrées dans les logiques de marché.
Les projets doivent être « scalables », rentables, séduisants pour les investisseurs. Ils s’adaptent donc aux normes dominantes, et évitent souvent toute remise en cause structurelle (propriété, redistribution, droits sociaux).
Ainsi, l’empowerment devient un levier d’intégration au capitalisme plutôt qu’un moyen de le transformer3.
4. Digestion de la critique par le système
Comme l’ont montré Boltanski et Chiapello, le capitalisme est capable d’absorber la critique pour se renouveler. L’autonomie, la créativité, la liberté – revendiquées dans les années 1960 – sont devenues des valeurs de l’entreprise moderne4.
Ce mécanisme neutralise les forces d’opposition. En donnant l’illusion de la liberté, le capitalisme retire aux individus la possibilité de penser d’autres mondes.
C’est pourquoi l’empowerment individuel ne peut être subversif que s’il est collectif, conscient, et structuré contre les logiques dominantes.
Notes de bas de page
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Gorz, A. (2003). L’immatériel. Paris : Galilée. ↩
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Illouz, E. (2012). Pourquoi l’amour fait mal. Paris : Seuil. ↩
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Dacheux, E. & Goujon, P. (2011). « L’innovation sociale : une invention du capitalisme ? », Réseaux, 167. ↩
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Boltanski, L. & Chiapello, E. (1999). Le nouvel esprit du capitalisme. Paris : Gallimard. ↩