I. Introduction : une terreur sans nom
Entre 1982 et 1985, la Belgique est secouée par une vague de violence organisée, dont les responsables sont soit inconnus, soit neutralisés, soit soupçonnés d’être infiltrés.
On parle alors des “Années de plomb” belges, par analogie avec l’Italie des Brigades Rouges. Sauf qu’ici, l’opacité est totale. Le spectre de la stratégie de la tension plane.
II. Les deux faces de la terreur
1. Les Tueurs du Brabant
1982–1985
- Plus de 28 morts dans des attaques violentes de supermarchés, armureries, postes de gendarmerie.
- Modus operandi : extrême violence, meurtres gratuits, retrait rapide.
- Aucune revendication. Aucun mobile économique crédible.
- Affaire toujours non élucidée.
Hypothèses : groupe criminel instable ? Ex-militaires ? Faux flag ?
L’ombre du stay-behind plane (réseaux Gladio ?).
2. Les CCC – Cellules Communistes Combattantes
1984–1985
- Groupe armé d’extrême gauche revendiquant une quinzaine d’attentats.
- Cibles : OTAN, État belge, grandes entreprises (AGFA, Litton).
- Très peu de victimes humaines, volonté déclarée d’“endommager le système”, pas les personnes.
- Leurs membres sont arrêtés fin 1985, jugés et incarcérés.
Le seul groupe armé identifié et jugé. Mais leur action a coïncidé avec les crimes les plus obscurs.
III. L’hypothèse de la stratégie de la tension
- Le concept : entretenir la peur pour justifier un renforcement sécuritaire.
- Inspirée des opérations Gladio en Italie : armées secrètes de l’OTAN mobilisées contre une hypothétique insurrection communiste.
- En Belgique : la Commission parlementaire Gladio (1990) reconnaît l’existence de réseaux, mais sans établir de lien formel avec les attentats.
Rien n’est prouvé. Tout est plausible. Le doute est institutionnalisé.
IV. L’implication des forces de l’ordre ?
- Plusieurs éléments troublants dans l’enquête sur les Tueurs :
- Pistes abandonnées, preuves perdues, témoins non protégés.
- Implication potentielle d’éléments dérivés de la gendarmerie.
- Témoignages évoquant un “groupe G” non reconnu officiellement.
Des parlementaires parleront plus tard de “sabotage organisé” de l’enquête.
V. Conséquences à long terme
- 1986–1996 : perte de confiance croissante envers la justice, les forces de l’ordre, l’État.
- Multiplication des affaires non élucidées, sensation d’un État dans l’État.
- Naissance d’une mémoire populaire paranoïaque : “ils savent mais ne disent rien”.
- Préparation inconsciente du terrain pour l’onde de choc Dutroux.
VI. Conclusion : le plomb est resté dans les têtes
Les Années de plomb n’ont pas accouché d’un changement de régime.
Elles ont laissé un État corrompu par le doute, une opinion publique anesthésiée, et une société civile désarmée.
Le message était clair : “Obéissez ou craignez l’ombre”.
◼︎ Assassinat d’André Cools : Le silence comme loi
I. 18 juillet 1991 – Seraing, 7h45
André Cools, ex-ministre d’État, ancien président du PS, est abattu de deux balles dans le dos devant l’immeuble de sa compagne à Liège.
Pas de vol. Pas de fuite précipitée. Un assassinat ciblé, exécuté à froid.
Ce jour-là, le pays se réveille avec un message clair : personne n’est intouchable, même pas les anciens barons du régime.
II. Qui était André Cools ?
- Homme fort du socialisme wallon, ancien vice-Premier ministre (1971–1972).
- Pilier de la filière liégeoise du PS, proche des réseaux syndicaux, mutualistes, et du monde des intercommunales.
- Relégué politiquement en « réserve du régime » après plusieurs tensions internes (et un certain isolement volontaire).
- Connu pour ses franc-parler, son ton cassant, et une volonté affichée de “nettoyer” la maison PS.
Il avait commencé à dénoncer publiquement certaines dérives du parti, dont des affaires suspectes autour de l’achat d’hélicoptères italiens (Agusta).
III. L’enquête : un puzzle aux pièces contaminées
A. Délai suspect
- Les premiers résultats n’aboutissent à rien pendant plusieurs années.
- Il faut attendre 1994 pour que des pistes sérieuses émergent.
B. Un contrat d’assassinat
- Les tueurs sont identifiés : originaires de Tunisie, recrutés via une filière mafieuse italienne.
- Le commanditaire reste flou, mais des proches du PS liégeois sont impliqués.
- Richard Taxquet, secrétaire particulier de Alain Van der Biest (ministre wallon du PS), est reconnu coupable d’avoir orchestré l’attentat.
L’affaire n’a pas seulement révélé un meurtre, mais une structure criminelle politique imbriquée dans l’appareil d’État.
IV. L’onde de choc : affaire Agusta-Dassault
- L’enquête sur l’assassinat mène aux financements illégaux du Parti Socialiste.
- L’affaire Agusta-Dassault éclate : pots-de-vin versés en échange de contrats militaires.
- Condamnations historiques : Guy Spitaels, ministre-président wallon, et Willy Claes, secrétaire général de l’OTAN, tombent.
Cools est mort, mais sa mort a parlé. Elle a brisé le mur de l’impunité… momentanément.
V. Hypothèses persistantes
- Cools gênait : il menaçait d’exposer les mécanismes de financement occulte du PS.
- Il avait rompu avec la logique clanique de Van der Biest et ses alliés.
- Certains estiment qu’il servait d’avertissement : ne pas trahir la structure.
Plus qu’un assassinat, une exécution rituelle du pouvoir corrompu contre l’homme intègre.
VI. Conséquences et impasses
- Électrochoc temporaire dans l’opinion.
- Apparente volonté de “moralisation” politique.
- Mais les structures de pouvoir sont restées intactes : aucune réforme de fond n’a suivi.
- Justice partielle, mémoire floue, cadavre institutionnel maquillé.
Cools a disparu. Le système, lui, s’est reconfiguré. Il ne fait plus de martyrs : il absorbe ou détruit en silence.
VII. Conclusion : l’homme qui en savait trop
L’assassinat d’André Cools est le point de bascule entre la politique d’antan (baronnies et clientélisme) et la corruption modernisée sous vernis démocratique.
Ce n’est pas un cold case : c’est un cas gelé volontairement, encadré, neutralisé.
En Belgique, on ne tue pas par idéologie. On tue pour garder la main sur la tuyauterie du pouvoir.