Voici un compte rendu de la situation de la Belgique en 1984 :


Dossier Interne – Belgique 1984 : Nation en sursis

Bruxelles, hiver 1984. Une chape de plomb recouvre le pays. L’euphorie des Trente Glorieuses n’est plus qu’un souvenir ébréché dans les colonnes jaunies de la presse. La Belgique vit une année d’agonie silencieuse, sous perfusion économique, dans une instabilité politique chronique, pendant qu’un gouffre social se creuse sans qu’aucun barrage ne tienne.


1. Économie : le déclin industriel s’installe

La Belgique est en récession. Le pays paie cash la désindustrialisation accélérée du sillon Sambre-et-Meuse. Charleroi, Liège, le Borinage : autant de noms devenus synonymes de chômage structurel et de misère ouvrière. Le taux de chômage dépasse les 13 %, avec des pics supérieurs à 20 % dans certaines régions wallonnes.

La sidérurgie est à genoux. Cockerill, Boël, Hainaut-Sambre… les géants se transforment en carcasses rouillées. Le plan Davignon, censé rationaliser la sidérurgie européenne, se traduit localement par des fermetures massives, des licenciements et une vague de désespoir social.


2. Gouvernement : le royaume du compromis bloqué

Au fédéral, c’est un gouvernement Martens-Gol qui tient les rênes : Wilfried Martens (CVP), Premier ministre chrétien-démocrate, allié au libéral francophone Jean Gol (PRL). Une coalition au pouvoir depuis 1981, qui mène une politique d’austérité brutale sous les injonctions du FMI et des marchés internationaux.

Le mot d’ordre : assainissement budgétaire, gel des salaires, réduction des dépenses sociales. La dette publique atteint des niveaux alarmants, tandis que les classes populaires paient le prix fort.


3. Conflits communautaires : la Belgique à deux vitesses

Sur le plan institutionnel, la tension monte. La réforme de l’État est en cours, mais la fracture communautaire s’accentue. La Flandre prospère, s’autonomise économiquement, et regarde vers l’Allemagne et les Pays-Bas. La Wallonie s’effondre, avec ses bastions industriels laminés.

Le mouvement wallon s’essouffle, mais la méfiance entre les deux communautés reste vive. Bruxelles, capitale bilingue, devient le champ de bataille symbolique d’un pays sans cap unitaire.


4. Société : malaise profond et radicalisations

1984, c’est aussi l’année où le malaise social se transforme en colère sourde. Grèves dans les services publics, occupations d’usines, manifestations massives… mais la répression se durcit. La violence policière est banalisée, les syndicats sont décrédibilisés dans une guerre d’usure.

Dans les marges, des groupes autonomes s’organisent. L’ombre de la Cellule Communiste Combattante (CCC) plane. En octobre 1984, la CCC revendique ses premiers attentats contre des cibles économiques et militaires. La Belgique découvre qu’elle peut aussi produire son propre terrorisme.


5. Médias et opinion : anesthésie ou diversion

La télévision s’installe dans tous les foyers. Mais elle devient surtout un instrument de diversion. Jeux télévisés, feuilletons américains, journalisme de complaisance. Le réel est évacué. L’information critique, elle, survit dans quelques publications marginales, vite taxées d’« idéologues » ou de « rouges en perdition ».

La jeunesse, elle, oscille entre nihilisme punk, rêve américain et retour mystique. La scène alternative bourgeonne, mais sans illusions.


Conclusion : Belgique 1984, anatomie d’une impasse

La Belgique de 1984 n’a pas explosé, mais elle pourrit de l’intérieur. Un État asséché, une société fracturée, une économie en ruine, une jeunesse désabusée, et une élite politique barricadée dans la rhétorique du “non-choix”. Orwell n’avait pas prévu la complexité belge. Mais il aurait reconnu les signes d’une société qui délègue ses douleurs à l’oubli.


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