I. 1984–1989 : L’après-choc et la fausse accalmie

> Les CCC c’est ciao… le malaise s’installe.

  • 1985 : attentats meurtriers des CCC (Cellules Communistes Combattantes) contre la gendarmerie et des installations économiques. Réaction sécuritaire forte. Fin des actions en 1985 après arrestations.
  • Les Tueurs du Brabant terrorisent le pays (1982–1985), sans qu’aucune autorité n’éclaircisse les faits. L’affaire reste non résolue. Soupçons d’infiltration d’État, de manipulation politique, voire de “stratégie de la tension”.
  • Plan Globaal (Martens VIII) : rigueur économique, privatisations, et recul de l’État providence.
  • 1988–89 : grande réforme de l’État, création des trois Régions (Flandre, Wallonie, Bruxelles-Capitale). La Belgique devient un État fédéral, mais sans vision d’un destin commun.

Un pays fédéralisé mais fragmenté, stabilisé mais dépolitisé. Le ver est dans le fruit.


II. 1990–1993 : Crises en cascade

> Chômage de masse, blocages communautaires, paralysie monarchique.

  • 1990 : crise constitutionnelle majeure : le Roi Baudouin Ier refuse de signer la loi dépénalisant partiellement l’avortement. Il est déclaré temporairement dans l’incapacité de régner. Première rupture symbolique avec la monarchie.
  • Explosion du chômage des jeunes : Bruxelles et les grandes villes voient apparaître les premières zones de relégation.
  • Début des émeutes urbaines localisées (Marolles, Molenbeek, etc.).
  • Montée de l’extrême droite en Flandre (Vlaams Blok).
  • 1993 : Mort du roi Baudouin. La monarchie perd son dernier “rassembleur naturel”. Son frère Albert II lui succède.

L’État n’est plus perçu comme protecteur. Le pouvoir devient gestionnaire, la société orpheline.


III. 1993–1996 : Fracture terminale et perte de confiance

> L’affaire Dutroux comme séisme de l’État de droit.

  • Août 1996 : arrestation de Marc Dutroux, pédocriminel multirécidiviste protégé par une administration négligente, voire complice. Découverte de l’impensable.
  • Mise en lumière de défaillances systémiques : police, justice, services sociaux.
  • Perte totale de confiance dans les institutions : le peuple parle de réseau, les autorités de “dysfonctionnements”.
  • Marche blanche (octobre 1996) : 300 000 personnes à Bruxelles. Dernier sursaut d’union nationale… ou enterrement de la démocratie représentative ?

L’affaire Dutroux ne fait pas que choquer. Elle révèle l’effondrement moral d’un État.


IV. Bilan transversal 1984–1996 : État belge déstructuré

Économie :

  • Libéralisation, privatisations, mise en concurrence des services publics.
  • Perte d’indépendance industrielle, financiarisation de l’économie.
  • Bruxelles devient un hub institutionnel européen, mais sans retombées sociales locales.

Société :

  • Fracture générationnelle et ethnique.
  • Montée de l’exclusion, délitement du lien social.
  • Émeutes, toxicomanie, ghettoïsation partielle de certains quartiers.

Politique :

  • Parcellisation du pouvoir entre niveaux fédéral, communautaire, régional.
  • Technocratisation croissante.
  • Sentiment d’impunité des élites et d’abandon des populations fragilisées.

Culture :

  • Repli identitaire et régional.
  • Émergence de voix dissidentes dans les arts, mais peu audibles dans l’espace public.

Conclusion : 1996, année zéro ?

La période 1984–1996 marque la fin d’un cycle. L’État belge ne gouverne plus : il administre une fragmentation. Les affaires (Tueurs, CCC, Dutroux) laissent derrière elles un sentiment de double impunité : celle du crime organisé… et celle des institutions.

La Marche blanche aurait pu être un réveil. Elle fut un baroud d’honneur.
> À partir de 1996, c’est la peur, le cynisme et le silence qui occupent le vide.


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