Montée de la violence liée au trafic de drogue et ghettoïsation de quartiers

Les faits récents confirment une escalade de la violence liée au narcotrafic dans certains quartiers bruxellois.

En 2023, les violences liées aux trafics de drogue dans la Région de Bruxelles-Capitale ont fait 7 morts et 131 blessés(​bx1.be).

Cette tendance s’est aggravée en 2024 : la police a recensé 92 fusillades liées à la drogue sur l’année, causant 9 décès et 48 blessés​(info3.com).

Des scènes dignes de “guerre des gangs” se déroulent désormais à Bruxelles, avec des hommes armés tirant en pleine rue (par exemple près du métro Clémenceau à Anderlecht en février 2025), illustrant le sentiment d’impunité des trafiquants (​info3.cominfo3.com).

Les autorités locales admettent être débordées : le procureur du Roi de Bruxelles a qualifié la situation de « désastreuse » et déploré le manque de moyens pour juguler cette criminalité violente​virgule.lu.

Plusieurs quartiers vulnérables sont devenus des points chauds du trafic.

En mars 2024, le Conseil régional de sécurité a identifié 15 “hotspots” prioritaires, dont Cureghem (Anderlecht), la Porte de Hal (Saint-Gilles), le quartier Yser et les abords des gares du Midi et du Nord​(rtl.be).

Ces zones concentrent la plupart des infractions de drogue (Cureghem, rue Bara, quartier Nord-Brabant, etc.), et sont le théâtre de règlements de comptes violents.

À Anderlecht, le quartier de Cureghem a connu une telle flambée de fusillades que la police a pris des mesures extrêmes : en février 2025, la place Clémenceau a été ceinturée de barrières métalliques, transformant ce lieu public en « prison à ciel ouvert » pour empêcher la fuite de suspects et canaliser les patrouilles​(courrierinternational.com).

Ce cloisonnement d’un quartier entier traduit le risque de ghettoïsation : les habitants subissent l’enfermement et la stigmatisation de leur quartier, tandis que les trafiquants déplacent leurs activités à quelques rues (​courrierinternational.com).

Le bourgmestre d’Anderlecht, Fabrice Cumps, souligne d’ailleurs que les dealers à Bruxelles ont désormais adopté des méthodes “à la marseillaise” – réseaux très structurés, codes QR pour la logistique de drogue, points de deal pouvant rapporter 50 000€ par jour – ce qui explique l’“ultraviolence” entre bandes rivales pour ce marché lucratif​(europe1.fr).

Face à cette situation, les autorités tentent de réagir. Outre le bouclage temporaire de certaines places, un plan régional prévoit des mesures de tolérance zéro dans les hotspots (interdiction de vente d’alcool, contrôles d’identité renforcés, fouilles préventives, confiscation d’objets dangereux).

En 2024, pas moins de 433 opérations policières ont visé le deal de rue, aboutissant à 420 arrestations (​bx1.be).

Le gouvernement fédéral a aussi promis de renforcer la police judiciaire bruxelloise (15 enquêteurs supplémentaires fin 2024)​(europe1.fr).

Cependant, ces efforts peinent à suivre l’ampleur du phénomène. La zone de police Midi (Anderlecht/Saint-Gilles/Forest), en première ligne, fonctionne avec 21% d’effectifs en moins que prévu (​lecho.be), tandis que la police fédérale manque de spécialistes pour démanteler les filières.

En somme, on observe déjà la concrétisation du scénario pessimiste d’une violence criminelle endémique dans certains quartiers de Bruxelles – violence qui évoque celle de zones de non-droit.

La ghettoïsation est à craindre : des zones comme Cureghem, la porte d’Anderlecht ou le quartier Nord souffrent d’une réputation délétère et d’une dégradation visible de la sécurité, au point que la vie de quartier “normale” y est fortement perturbée.

Situation financière et dette publique de la Région bruxelloise

La santé financière de la Région de Bruxelles-Capitale s’est nettement détériorée ces dernières années, au point de faire redouter un scénario de quasi-faillite.

Entre 2018 et 2023, la dette régionale a explosé, passant d’environ 3,4 milliards € à 10,4 milliards € pour la dette directe (hors organismes) (​crd-goc.brussels).

Fin 2023, la dette consolidée de la Région (incluant ses organismes publics) atteignait environ 13 milliards €(​bx1.be).

Cette envolée de l’endettement a conduit l’agence Standard & Poor’s à dégrader la note de crédit de Bruxelles en mars 2024, de AA- à A+ (perspective stable), en raison d’un ratio d’endettement jugé trop élevé.

C’est un signal d’alarme clair quant à la fiabilité de la Région sur les marchés financiers. Le ministre bruxellois du Budget a minimisé l’impact à court terme (la Région ayant déjà emprunté aux taux bas début 2023), mais l’opposition dénonce une dérive budgétaire dangereuse​.

En effet, les déficits annuels se creusent à un rythme inédit. Le budget 2024 de la RBC présentait un déficit d’environ 1,4 milliard €, et pour 2025 on attend 1,6 milliard € de déficit – soit plus de 21% des recettes régionales (7,6 milliards € de revenus).

À titre de comparaison, un tel déficit structurel est bien supérieur (en proportion) à celui de l’État fédéral ou des autres Régions. Trends rapporte que la situation est « totalement hors de contrôle » et qu’en l’absence de correction, la dette bruxelloise pourrait grimper à 322% des recettes d’ici 2029 (​trends.levif.be), un niveau insoutenable​.

Autrement dit, Bruxelles s’endette beaucoup plus vite que sa base fiscale ne grandit – un effet boule de neige accentué par la remontée des taux d’intérêt.

Plusieurs facteurs expliquent cette dérive : des dépenses en hausse (indexation des salaires publics, croissance de l’administration de +33% au 1er semestre 2025, investissements post-Covid, etc.) combinées à des recettes structurellement limitées (Bruxelles ne bénéficie que faiblement de la solidarité nationale pour ses charges de capitale, par ex. compensation de seulement 44 millions € pour les navetteurs entrants​(crd-goc.brussels).

Quoi qu’il en soit, les signes du scénario pessimiste financier sont bien présents. La Région bruxelloise voit sa marge de manœuvre financière se réduire : chaque nouvel emprunt devient plus coûteux, et à terme c’est le financement même des services publics bruxellois qui pourrait être compromis.

Les observateurs évoquent un risque d’effet domino (hausse des intérêts -> aggravation de la dette -> besoin de coupes budgétaires).

Pour l’instant, Bruxelles honore ses paiements, mais la pression budgétaire est maximale. Les agences et la Banque nationale ont les yeux rivés sur Bruxelles, dont l’endettement croît bien plus vite que celui de la Flandre ou de la Wallonie.

Fragilisation des services publics : logement, santé, éducation, sécurité

Plusieurs services publics bruxellois essentiels montrent des signes de saturation ou de défaillance progressive, nourrissant le scénario d’un effondrement fonctionnel si les tendances se poursuivent.

Logement : pénurie et précarité croissante

Bruxelles est confrontée à une crise du logement aiguë.

La Région ne compte que 6,8% de logements sociaux dans son parc résidentiel total (​slrb-bghm.brussels), un taux très faible au regard de ses besoins sociaux.

Selon l’Institut bruxellois de statistique (IBSA), plus de 53 800 ménages bruxellois étaient en attente d’un logement social en 2023, un nombre en hausse de +9% sur un an (​bx1.be).

Cela représente environ 8% des ménages de la Région.

Or, la moitié de la population bruxelloise remplit les conditions de revenus pour être éligible à un logement social​ (bx1.be) – révélateur d’un très grand nombre de personnes à faibles revenus.

L’offre, elle, stagne depuis des années (peu de constructions neuves, rotations faibles autour de 4% par an (​bruxellestoday.be). Conséquence directe : se loger à Bruxelles est le plus cher du pays, avec des loyers en hausse de +4,1% en 2023 (contre +2% en Flandre, et stabilité en Wallonie)​.

La pénurie de logements abordables pousse de nombreux ménages dans des situations précaires.

Des indicateurs sociaux confirment une dégradation des conditions de logement : d’après l’enquête EU-SILC 2023, 31% des habitants de la Région vivent en logement surpeuplé (contre seulement ~3% dans les autres régions du pays).

Plus de 10% des Bruxellois sont même en situation de privation grave de logement, c’est-à-dire cumulant surpeuplement et insalubrité (humidité, installations sanitaires absentes, etc.) – un taux sans commune mesure avec le reste du pays (<1%).

Le nombre de personnes sans-abri ou sans chez-soi a quant à lui quadruplé en une quinzaine d’années : on comptait 7 134 personnes sans domicile lors du dénombrement 2022, contre ~1 800 en 2008 (​bx1.be).

Tous ces chiffres témoignent d’une fragilisation extrême du droit au logement à Bruxelles.

Les services publics (comme la Société du logement de la RBC) peinent à juguler cette crise : les constructions neuves restent très en-deçà de la demande, et les mécanismes d’aide (allocations loyer, agences immobilières sociales) font face à un afflux de bénéficiaires potentiels sans précédent.

On peut donc estimer que les signes d’un effondrement du service public du logement sont bel et bien visibles – avec pour corollaire des conséquences sociales graves (expulsions, sans-abrisme, exode de ménages modestes hors de la Région, etc.).

Santé : hôpitaux sous tension financière et humaine

Le secteur hospitalier bruxellois traverse lui aussi une période critique. Selon la coupole Gibbis (fédération des hôpitaux bruxellois), 7 hôpitaux sur 12 dont les chiffres étaient disponibles en 2023 affichaient un résultat négatif.

Au total, 75% des hôpitaux bruxellois étaient en déficit cette année-là, cumulant une perte de 86 millions € sur l’exercice 2023 ​(trends.levif.be).

Cette situation est pire qu’en Wallonie ou en Flandre, ce qui traduit des charges spécifiques plus lourdes à Bruxelles (prise en charge de patients à profil socio-économique complexe, polyglottes, sans assurance, etc.).

Les hôpitaux publics bruxellois du réseau IRIS, par exemple, accusent à eux seuls un déficit global avoisinant 69 millions € et se trouvent « au bord de l’effondrement » sans aide structurelle (​bx1.be).

Plus inquiétant, la pénurie de personnel soignant compromet le fonctionnement des services.

L’absentéisme dans les hôpitaux a dépassé 12% en 2023 (​trends.levif.be), signe d’un épuisement des équipes.

Malgré l’engagement de plus de 6 600 équivalents temps-plein supplémentaires en Belgique depuis 2019, le besoin n’est toujours pas couvert : on estime à 4 000 le nombre de postes vacants dans les hôpitaux du pays (dont ~2 700 infirmiers/infirmières), avec une forte concentration de ces pénuries à Bruxelles.

Le recours à des intérimaires explose (+2 400 ETP en 2023), solution coûteuse qui ne résout pas le manque de soignants formés. Les urgences bruxelloises ont connu plusieurs épisodes de saturation (pénurie de lits aigus lors des pics de grippe fin 2022 – début 2023 (​stuut.info), menant parfois à des reports de soins.

En santé publique, la Région ne dispose pas de toutes les compétences (celles-ci sont partagées avec les Communautés et le fédéral), mais on voit bien une fragilisation du service hospitalier bruxellois.

Les experts alertent sur un cercle vicieux : sans refinancement adéquat, les hôpitaux devront réduire certaines activités ou reporter des investissements, au risque d’une baisse de qualité des soins. Les signes avant-coureurs d’un effondrement partiel sont là (déficits chroniques, départs de personnel, etc.), même si le système tient encore grâce à des mesures temporaires.

Éducation : pénurie d’enseignants et classes surchargées

L’enseignement à Bruxelles souffre des mêmes maux que dans le reste de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), mais de façon exacerbée. La capitale connaît une croissance du nombre d’élèves et une pénurie d’enseignants sans précédent.

En 2023, le nombre d’offres d’emploi pour des enseignants en FWB a augmenté de +25% par rapport à 2022, signe de la difficulté à pourvoir les postes (​rtl.be).

D’après une enquête internationale (Talis 2022), 86% des directeurs d’école en FWB déclaraient que le manque de professeurs entrave la capacité de leur établissement à dispenser correctement les cours – ils n’étaient que 56% à le penser en 2015 (​levif.be).

C’est l’indicateur le plus mauvais de toute l’Europe, soulignent les experts, preuve que la crise du recrutement enseignant est la plus critique en Belgique francophone (dont Bruxelles).

Concrètement, à Bruxelles, cela se traduit par des heures de cours perdues faute de remplaçants.

Dans l’enseignement secondaire catholique, en janvier 2025, 8 000 heures de cours par semaine n’étaient pas données, faute de professeur disponible (l’équivalent de 394 enseignants à temps plein manquants).

Plusieurs écoles bruxelloises témoignent de classes qui restent sans enseignant titulaire pendant des semaines, parfois des mois, notamment en français, néerlandais et sciences(​levif.be​).

Les directions doivent improviser avec des bénévoles, des parents, ou regrouper des classes, au détriment de la qualité pédagogique (​dhnet.be).

Cette situation cause aussi des classes surchargées : trouver une place dans certaines écoles est un défi, en particulier dans le primaire et le secondaire francophones. En septembre 2023, plus de 2 800 élèves bruxellois étaient sans école assignée à la rentrée faute de places disponibles, malgré la création en urgence de quelques centaines de places supplémentaires (​vrt.be).

La fragilisation du service public d’éducation est donc manifeste : le droit à l’instruction est mis à mal par le manque de moyens humains. Si rien n’est fait, on peut redouter une forme de “dégradation systémique” où certaines écoles des quartiers les plus populaires n’assureront plus toutes les heures de cours obligatoires. Les syndicats et parents ont d’ailleurs multiplié les manifestations en 2023-2024 pour dénoncer cette situation (taille des classes, enseignants non qualifiés engagés par manque de mieux, etc.)​.

Sécurité publique : forces de l’ordre et services de secours sous pression

La sécurité à Bruxelles est mise à rude épreuve non seulement par la criminalité (évoquée plus haut) mais aussi par des moyens publics insuffisants.

La Région bruxelloise compte 6 zones de police locale distinctes, une fragmentation qui a longtemps compliqué la coordination. Désormais, un projet de fusion des zones de police est sur la table pour améliorer l’efficacité (​bx1.be).

Cette réforme est motivée par un constat de sous-effectifs chroniques : par exemple, la zone Bruxelles-Midi (qui couvre plusieurs communes sensibles) n’a que 826 policiers sur 1 035 postes prévus – soit 21% de moins que le cadre théorique (​lecho.be). Les autres zones ne sont pas toutes au complet non plus, en raison de difficultés de recrutement et de nombreux départs à la retraite.

Du côté de la police fédérale, chargée des grandes enquêtes (drogue, terrorisme, crime organisé), le son de cloche est le même.

Le procureur de Bruxelles a publiquement fustigé le manque d’effectifs pour poursuivre les réseaux criminels : « Comment voulez-vous que j’arrête des auteurs si je n’ai pas d’enquêteurs spécialisés ? », a-t-il lancé en commission parlementaire, appelant à un sursaut urgent.

Les pompiers et ambulanciers bruxellois signalent également des tensions : dans certains cas, la barrière linguistique complique le dispatching des secours (manque de personnel bilingue au centre 112, etc.), et les effectifs doivent couvrir une densité de population élevée avec de multiples événements (manifestations européennes, sommets, etc.).

Malgré un haut niveau global de services, on constate que les signes de fragilisation de la sécurité publique s’accumulent (retards d’intervention, sentiment d’insécurité, usure des agents).

Si la paralysie politique perdure (voir section suivante), le risque est de ne pas pouvoir renforcer suffisamment les effectifs de police ni d’engager les réformes nécessaires, ce qui accentuerait encore la pression sur ce service régalien de base.

Paralysie politique prolongée et blocage institutionnel

La gouvernance bruxelloise traverse une phase de paralysie inédite. À la suite des élections régionales de juin 2024, aucune nouvelle coalition n’a pu être formée pendant de longs mois.

Dix mois après le scrutin, Bruxelles n’avait toujours pas de gouvernement effectif en place (​trends.levif.be).

L’exécutif sortant expédie les affaires courantes, donnant l’impression d’un « vide politique » au sommet de la Région. Durant cette vacance du pouvoir, le budget 2024-2025 a dû être géré par douzièmes provisoires (c’est-à-dire en reconduisant chaque mois 1/12ᵉ du budget précédent)​, faute de majorité pour voter de nouvelles orientations.

Cette impasse politique résulte de la fragmentation du paysage électoral bruxellois. La coalition précédente (PS-Ecolo-DéFI-Groen-Open Vld-Vooruit) a perdu sa majorité au Parlement régional en 2024​.

Or, les partis n’ont pas réussi à s’entendre sur une alternative viable, chacun campant sur ses positions.

Les négociations se sont éternisées entre diverses formules (coalition de gauche “Arizona”, coalition typée Vervoort sortant, etc.), sans succès pendant de nombreux mois (​lalibre.be).

L’administration régionale a continué de fonctionner, mais on observe une vraie paralysie décisionnelle : aucun nouveau plan d’envergure ne peut être lancé, les réformes structurelles (par exemple en finances ou en police) sont gelées, et la Région ne parle plus d’une seule voix. Des acteurs économiques ont manifesté leur exaspération face à ce blocage, tout comme des citoyens qui ont organisé une action symbolique de “89 minutes de silence” (en référence aux 89 sièges du parlement régional) pour dénoncer le vide politique (​bruxellestoday.be).

Les conséquences institutionnelles commencent à se faire sentir. D’une part, cette absence de gouvernement légitime affaiblit la position de Bruxelles vis-à-vis du fédéral et des autres Régions, alors même que des dossiers cruciaux (financements, sécurité, etc.) nécessitent de la concertation. D’autre part, la confiance des citoyens en prend un coup, alimentant l’abstention et le vote protestataire.

Comme le souligne un élu bruxellois, ce blocage “irrationnel” nourrit le populisme et le sentiment que Bruxelles est “ingouvernable”​(trends.levif.be).

Sur le plan budgétaire, la paralysie aggrave aussi le retard de redressement : « Rien, en particulier du côté du PS, n’indique la volonté de remettre de l’ordre dans les finances » tant que le gouvernement n’est pas formé (​trends.levif.be).

En somme, le scénario pessimiste d’une vacance du pouvoir prolongée est devenu réalité en 2024-2025. Bruxelles a fonctionné sans véritable cap politique pendant une période exceptionnellement longue (approchant voire dépassant le précédent record belge de 2019-2020).

Ce blocage institutionnel fragilise la Région dans ses fondements, même si, à court terme, les services publics de base ont continué à opérer par inertie.

Si cette paralysie venait à durer ou à se répéter, on pourrait assister à une érosion durable de la capacité de Bruxelles à se réformer et à répondre aux crises évoquées plus haut.

Fragmentation communautaire et tensions interlinguistiques

La question communautaire en Belgique – et à Bruxelles en particulier – reste un foyer de tensions latentes, même si elles ont évolué de nature.

Bruxelles est officiellement bilingue (français et néerlandais), mais sa sociologie est devenue extrêmement multiculturelle.

Plus de 180 nationalités cohabitent dans la Région, et on y a recensé en 2024 la pratique de 104 langues différentes parmi les habitants.

Le français demeure la lingua franca majoritaire, mais sa prépondérance décline (la connaissance du français par les habitants a nettement baissé en 20 ans), tandis que l’anglais monte en puissance comme deuxième langue la plus parlée à Bruxelles.

Le néerlandais, langue historique de la région, n’est maîtrisé que par une minorité de Bruxellois (environ 20% en usage quotidien selon certaines enquêtes), même si la proportion a légèrement augmenté via l’influx de néerlandophones et l’apprentissage scolaire (​briobrussel.be).

Ce glissement linguistique crée des frictions politiques sur la place à accorder à chacune des langues.

En 2023, un débat linguistique inattendu a ravivé les divisions : la proposition d’élus bruxellois d’introduire l’anglais comme langue administrative auxiliaire (pour mieux accueillir les expatriés) a suscité une levée de boucliers chez les nationalistes flamands​ (politico.eu).

« Les guerres linguistiques sont de retour à Bruxelles », titrait Politico​. Le parti N-VA (principal parti flamand) a dénoncé une atteinte au statut bilingue : « Il est important que les gens qui s’installent ici apprennent aussi le français et le néerlandais », a martelé la cheffe de groupe N-VA au parlement bruxellois.

Cet épisode souligne une ligne de fracture persistante entre la vision francophone (pragmatique, ouverte à l’anglais pour refléter la réalité européenne de Bruxelles) et la vision flamande (attachée au bilinguisme strict et à la défense du néerlandais). Finalement, l’anglais n’a pas été élevé au rang de 3ᵉ langue officielle, mais la polémique a mis en lumière le tiraillement identitaire à Bruxelles.

Par ailleurs, la montée électorale du Vlaams Belang (extrême droite flamande, partisan d’une Flandre indépendante) lors des élections de 2024 a ravivé les spéculations sur l’avenir de Bruxelles.

En Flandre, une part croissante de la population voit Bruxelles comme un “problème” (ville à part, majoritairement francophone et internationale).

Le repli identitaire s’y est accentué en réaction à la “bruxellisation” des communes périphériques.

En effet, face à l’expansion démographique de Bruxelles hors de ses frontières, de nombreux Bruxellois (souvent des expatriés ou des francophones) s’installent en périphérie flamande, ce qui pousse certains Flamands vers des partis prônant l’identité linguistique stricte (​politico.eu).

Comme le résume un chercheur de la VUB, « le conflit linguistique n’est plus tant entre francophones et néerlandophones, mais entre les partisans du monolinguisme et ceux du multilinguisme »​ (politico.eu).

Bruxelles symbolise cette tension : ville globalisée, multilingue, elle contraste avec la Flandre environnante plus attachée à la langue unique.

Au sein même de Bruxelles, on peut parler d’une certaine fragmentation communautaire. Les communautés linguistiques vivent en parallèle : les néerlandophones (environ 10 à 15% de la population) disposent de leurs propres écoles, médias (Bruzz, VRT), clubs sportifs, tandis que la majorité francophone évolue dans son réseau (RTBF, écoles francophones, etc.).

Les échanges existent mais restent limités, et la politique régionale est structurellement communautarisée (la constitution impose une parité linguistique au gouvernement et des votes à majorité spéciale pour les matières communautaires).

Cette architecture, censée garantir la coopération, peut aussi mener à l’immobilisme dès que les visions divergent.

Le blocage gouvernemental bruxellois de 2024 en est une illustration : la difficulté à assembler une majorité tient aussi aux clivages communautaires (par ex., aucun parti flamand ne voulait s’allier avec le PTB extrême-gauche francophone, tandis que côté francophone peu de partis acceptaient la N-VA flamande, etc.).

Enfin, la fragmentation à Bruxelles n’est pas qu’une question belgo-belge : elle est aussi socio-ethnique.

Outre le dualisme linguistique, Bruxelles est segmentée en de multiples communautés d’origine (européenne, nord-africaine, turque, subsaharienne, asiatique…). On parle parfois de “mosaïque bruxelloise”.

Ce multiculturalisme est une richesse, mais il s’accompagne de défis d’intégration.

Certains quartiers présentent une forte concentration d’une communauté (par ex. Matongé pour la communauté congolaise, le haut de Saint-Josse très turcophone, Molenbeek à majorité belgo-marocaine).

Cela peut conduire à un enfermement communautaire et à des incompréhensions interculturelles.

Les incidents interculturels restent toutefois sporadiques, et Bruxelles n’a pas connu de conflit intercommunautaire majeur récent.

En résumé, les tensions interlinguistiques à Bruxelles demeurent un facteur de fragilité.

Si elles ne s’expriment plus par des émeutes comme dans le passé, elles se manifestent dans les blocages politiques et les joutes symboliques (comme le débat sur l’anglais).

La fragmentation communautaire est quant à elle un fait sociologique : Bruxelles est de moins en moins homogène, et le risque est de ne plus parvenir à forger de projet commun unificateur pour l’ensemble de ses habitants.

Ce scénario pessimiste d’une ville éclatée en communautés étanches n’est pas encore totalement réalisé – il existe encore un sentiment bruxellois partagé et des espaces de mixité –, mais les signes avant-coureurs (balkanisation politique, réseaux sociaux polarisés par langue, etc.) sont bien présents.

Conclusion

De ce panorama, il ressort que plusieurs des scénarios pessimistes évoqués trouvent un écho réel dans la situation actuelle de Bruxelles.

On observe une dégradation concrète sur de nombreux fronts : une insécurité criminelle inédite liée au trafic de drogue, une situation budgétaire régionale critique, des services publics essentiels en souffrance, une gouvernance paralysée et un tissu sociocommunautaire sous tension.

Ces signes visibles suggèrent que Bruxelles est engagée dans une zone de turbulences systémiques.

Cependant, il convient de nuancer en rappelant que Bruxelles n’est pas (encore) en “effondrement” total.

Des forces vives existent : la société civile bruxelloise reste dynamique, l’économie de la ville (notamment soutenue par la présence européenne) continue de tourner, et des prises de conscience ont lieu.

Par exemple, le problème de sécurité est désormais clairement identifié et des moyens commencent à être déployés pour y remédier​ (europe1.fr).

De même, la crise du logement et la pénurie d’enseignants font l’objet de plans d’action (même s’ils restent insuffisants à ce jour).

Le défi pour les autorités sera de renverser ces tendances négatives avant qu’elles ne s’auto-aggravent (on pense au cercle vicieux finances/services publics).

Sans sursaut, les scénarios les plus noirs – ghettos incontrôlables, banqueroute régionale, fuite des classes moyennes, fracture communautaire irréparable – pourraient finir par se matérialiser.

Les constats factuels de 2023-2025 montrent que Bruxelles est à la croisée des chemins, avec des symptômes inquiétants qu’il ne faut ni exagérer ni minimiser, mais traiter en urgence afin d’éviter que la crise systémique ne devienne irréversible.

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