Éducation civique

Durant les années 1990, la sensibilisation des élèves aux institutions et aux valeurs démocratiques gagne en importance, bien qu’elle ne fasse toujours pas l’objet d’un cours unique et transversal.

Les grandes réformes de l’État en cours (fédéralisation) obligent l’école à expliquer ces changements : les manuels d’histoire-géographie du secondaire intègrent des chapitres sur les niveaux de pouvoir (Communautés, Régions, État fédéral) et sur les principes de la Constitution, afin que les jeunes comprennent l’organisation du pays.

En Communauté française, un programme intitulé Éveil à la citoyenneté est progressivement introduit à la fin de l’enseignement primaire (5e – 6e années) : il s’agit de quelques leçons par an, intégrées dans le cours d’histoire ou de morale, sur les droits de l’homme, le rôle des communes, etc.

En Flandre, où les écoles jouissent d’une plus grande autonomie pédagogique, certaines écoles pionnières commencent dans les années 90 à organiser des semaine de la démocratie (Democratie week) durant lesquelles les élèves simulent un processus électoral ou débattent sur des sujets de société.

Par ailleurs, l’idée de créer un cours de citoyenneté neutre – c’est-à-dire indépendant de la religion ou de la morale – fait son chemin dans certains milieux académiques et laïques, mais se heurte encore à la structure du système éducatif belge basée sur la liberté de choix philosophique.

On note également que l’éducation civique passe par l’expérience directe : les parlements de jeunes se développent.

En 1997 est lancé le premier Parlement Jeunesse de la Communauté française, exercice où pendant quelques jours des étudiants du supérieur simulent le travail parlementaire (initiative qui existait en Flandre depuis 1975 sous le nom de Vlaamse Jeugdraad).

Ces parlements des jeunes, tout symboliques qu’ils soient, contribuent à former une génération de citoyens plus conscients du fonctionnement de la démocratie.

Enfin, sur le plan international, la Belgique s’ouvre à l’éducation à la citoyenneté européenne : à la suite du Traité de Maastricht (1992) qui institue la citoyenneté européenne, des écoles belges participent aux programmes Euroscola et Jeunesse pour l’Europe, permettant à des lycéens de découvrir les institutions de l’UE et de rencontrer d’autres jeunes Européens.

En résumé, les années 1990 posent les jalons d’une éducation civique plus structurée, sans toutefois remettre en cause le système des cours philosophiques séparés.

Justice sociale

La décennie 1990 est marquée par un redressement progressif de la situation socio-économique et par des réformes visant à adapter l’État-providence aux contraintes budgétaires sans renoncer à la justice sociale.

En 1993, le gouvernement de Jean-Luc Dehaene met en œuvre un « Plan global » pour assainir les finances publiques en vue de la convergence Maastricht (préparation à l’euro) : ce plan comprend une modération salariale, des mesures de contrôle des dépenses de sécurité sociale et une réforme des pensions (introduction du préfinancement du régime des pensions) afin de garantir sa pérennité.

Si ces politiques d’austérité douce suscitent des grèves ponctuelles, elles sont accompagnées d’un dialogue social intense dans la tradition belge – par exemple l’accord social de 1994 entre syndicats et patronat sur la compétitivité et le maintien de l’indexation.

Sur le front de la solidarité, la Belgique innove en 1994 avec la création du Revenu Minimum Garanti pour Personnes Âgées (GRAPA) ciblant les aînés les plus pauvres. En 1995, une réforme fiscale crée le « bonus à l’emploi » (réduction des charges sur les bas salaires) pour encourager le travail des personnes peu qualifiées et lutter contre le piège du chômage.

En matière d’égalité et de droits sociaux, les années 90 voient aussi des avancées : une loi de 1993 établit des quotas de genre sur les listes électorales (au moins 1/3 de candidats de chaque sexe), et en 1999 l’assurance soins de santé est étendue via le maximum à facturer qui limite les dépenses de santé annuelles par ménage en fonction de ses revenus.

Par ailleurs, les valeurs de justice sociale s’expriment dans des mouvements citoyens forts : la Marche blanche de 1996 exige une justice plus équitable pour tous (en particulier pour les enfants victimes), tandis que l’émergence des partis écologistes, souvent porteurs de revendications en faveur de modes de vie plus solidaires et durables, traduit l’aspiration d’une partie de la population à une société plus juste et participative.

En somme, malgré les contraintes budgétaires, les années 90 maintiennent le cap d’une Belgique attachée à son filet social et aux principes d’égalité, tout en préparant les réformes nécessaires à sa viabilité future.

Liberté des médias

Durant les années 1990, la presse belge demeure l’une des plus libres d’Europe, avec une vitalité accentuée par l’essor des nouveaux acteurs audiovisuels privés et la fin du contrôle partisan direct sur les médias publics.

En 1991, la radiotélévision flamande BRT devient la VRT et gagne en autonomie éditoriale, tandis qu’en 1997 la RTBF est transformée en entreprise publique autonome dotée d’un contrat de gestion quadriennal définissant ses obligations de service public et garantissant son indépendance vis-à-vis du politique.

Ces évolutions juridiques renforcent l’indépendance des médias de service public. La presse écrite, de son côté, amorce sa dé-pillarisation : plusieurs journaux fusionnent ou changent de propriétaires, formant de grands groupes multimédias, ce qui suscite des débats sur la concentration médiatique. Néanmoins, le pluralisme d’opinion reste assuré par la présence de nombreux titres aux sensibilités variées dans chaque communauté linguistique.

Sur le plan des limitations, la Belgique applique sa législation anti-discrimination dans le domaine des médias : ainsi, en 1994, le parti d’extrême droite Vlaams Blok est condamné pour incitation à la haine raciale via ses publications, ce qui conduit à sa dissolution – une action en justice qui montre que la liberté d’expression trouve sa limite dans le respect des autres droits fondamentaux.

De manière générale, les journalistes belges travaillent sans censure, hormis les restrictions prévues par la loi (diffamation, négationnisme puni depuis 1995, etc.), et bénéficient d’un climat de liberté qui attire l’attention d’organisations internationales de la presse.

Participation citoyenne

La décennie 1990 voit émerger de nouvelles formes d’engagement citoyen en Belgique, souvent en réaction à des crises qui ébranlent la confiance du public envers les institutions.

Un moment charnière est la Marche blanche du 20 octobre 1996 à Bruxelles : près de 300 000 citoyens défilent en silence pour protester contre les dysfonctionnements de la justice et de la police mis en lumière par l’affaire Dutroux, et pour exiger davantage de considération pour les victimes et de rigueur dans l’appareil judiciaire. Cette mobilisation citoyenne spontanée, sans bannière politique, constitue l’une des plus grandes manifestations de l’histoire belge et aboutit à des changements concrets (réforme de la police en 1998, création de comités P et R de contrôle des services de police et de renseignement, etc.), montrant le pouvoir d’influence de la société civile sur les décisions politiques.

Par ailleurs, l’offre politique elle-même est modifiée par la participation électorale des citoyens à de nouveaux mouvements : les partis écologistes, Ecolo et Agalev (devenu Groen), connaissent une progression continue tout au long des années 1990 en se présentant comme porteurs d’une rénovation de la pratique politique (politique autrement).

Leur succès aux élections de 1999 (environ 15 % des voix cumulés) les amène au pouvoir fédéral, concrétisation d’un vote citoyen soucieux d’environnement et d’éthique publique.

En Flandre, on assiste aussi à la montée du Vlaams Blok, parti d’extrême droite qui capitalise sur le mécontentement d’une partie des citoyens vis-à-vis de l’immigration et de l’insécurité : bien que les autres partis instaurent un cordon sanitaire médiatique et politique autour de lui, le VB devient la première force politique à Anvers en 1994, révélant une participation protestataire via les urnes.

Durant la même période, les premiers instruments locaux de démocratie participative sont utilisés : en 1996, la ville d’Anvers organise un référendum consultatif sur le tracé d’une nouvelle route, mobilisant de nombreux habitants – une première qui en appellera d’autres (comme la consultation populaire à Liège en 1995 sur la fusion de communes).

Enfin, avec l’arrivée d’Internet dans les foyers à la fin des années 90, quelques citoyens pionniers commencent à utiliser les forums en ligne pour échanger des opinions politiques, prélude à la cyberdémocratie des décennies futures.

Ainsi, les années 1990 sont marquées par une diversification des canaux d’expression citoyenne : manifester massivement pour peser sur un enjeu sociétal, voter pour de nouvelles formations ou s’essayer aux outils de consultation locale.

Séparation des pouvoirs

La décennie 1990 parachève le fédéralisme belge : la réforme de 1993 inscrit la nature fédérale de l’État dans la Constitution et octroie aux Régions et Communautés des compétences exclusives étendues, avec l’élection directe de leurs parlements dès 1995 (les assemblées régionales ne sont plus composées de membres du Parlement fédéral).

Un événement marquant de 1990 illustre toutefois la persistance de particularités institutionnelles : le roi Baudouin refuse de sanctionner la loi dépénalisant l’avortement pour des raisons de conscience religieuse, contraignant le gouvernement à le déclarer momentanément en « impossibilité de régner » pendant 36 heures afin que les ministres signent eux-mêmes la loi.

Cette solution juridiquement audacieuse – s’appuyant sur l’article 93 de la Constitution – a permis d’éviter une crise majeure tout en maintenant le principe de la primauté du Parlement.

Par ailleurs, les dysfonctionnements révélés par l’affaire Dutroux (1996) conduisent à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire : une révision constitutionnelle de 1998 crée le Conseil supérieur de la Justice, organe paritaire et indépendant chargé de présenter les candidats magistrats, de contrôler le fonctionnement des tribunaux et d’émettre des avis sur la Justice.

Cette réforme rompt avec l’ancienne pratique des nominations judiciaires essentiellement politiques et vise à restaurer la confiance du public dans la Justice.

Enfin, le principe de la séparation des pouvoirs s’applique aussi dans la nouvelle Belgique fédérale via des mécanismes de concertation : par exemple, le Sénat est impliqué dans la résolution des conflits d’intérêts entre parlements fédérés, garantissant un équilibre entre niveaux de pouvoir.

Transparence

Les années 1990 marquent un tournant législatif en faveur de la transparence en Belgique. En 1994, une loi fondamentale est adoptée : la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, qui consacre le droit pour tout citoyen d’accéder aux documents administratifs et impose aux autorités de rendre leur fonctionnement plus transparent.

Ce principe de publicité comporte deux volets : la publicité active (l’administration doit informer spontanément la population, par des rapports, sites web, etc.) et la publicité passive (le citoyen peut demander communication de documents).

Pour mettre en œuvre la publicité passive, la loi crée la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui peut être saisie en cas de refus et donner un avis indépendant.

Depuis 1995, tout citoyen exerce donc ce droit d’accès et, si l’administration le lui refuse, il peut faire appel à cette Commission qui veille à faire primer l’intérêt de la transparence sur le secret administratif.

Parallèlement, la vie politique se dote de règles de transparence financière : une loi de 1989 (effectuée concrètement dès les années 90) impose la publication des comptes des partis et limite leurs dépenses électorales, réduisant ainsi les financements occultes.

Les « affaires » de corruption du milieu des années 90 (affaire Agusta-Dassault en 1994, par ex.) ont d’ailleurs accéléré ces prises de conscience : en 1999, le nouvel accord de gouvernement mentionne explicitement la lutte contre la corruption et la nécessité d’adapter les lois existantes pour moraliser la vie publique.

Cette décennie voit aussi le Parlement utiliser davantage les commissions d’enquête, dont les rapports sont publiés (par exemple le rapport Auguste sur la police en 1994, très médiatisé sur la corruption interne).

Ainsi, fin 1990s, le cadre légal belge de la transparence s’est nettement renforcé, bien qu’il reste encore perfectible.

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