Éducation civique

Les années 2010 marquent un tournant décisif avec l’introduction officielle de cours de citoyenneté dans l’enseignement en Belgique, en particulier du côté francophone, et une intégration plus systématique de l’éducation civique dans les objectifs éducatifs.

En Communauté française (FWB), une série d’évolutions juridiques et sociales conduit à la création du Cours de philosophie et de citoyenneté (CPC).

D’une part, un arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 estime que forcer les parents à choisir entre un cours de religion ou de morale pour leurs enfants sans offrir d’option neutre porte atteinte à la liberté de conscience. D’autre part, le Pacte pour un enseignement d’excellence lancé en 2015 préconise de renforcer la formation civique des élèves.

Ainsi, à la rentrée de septembre 2016, le nouveau CPC est instauré dans le primaire : chaque élève a désormais une heure de cours de citoyenneté par semaine, en complément d’une heure de religion ou de morale (ou deux heures de CPC s’il est dispensé de cours religieux).

Ce cours, assuré par des enseignants de morale ou de religion formés à cette nouvelle matière, traite de philosophie, de pensée critique, de droits de l’homme et de fonctionnement de la démocratie. En septembre 2017, la réforme est étendue au secondaire inférieur, où les élèves ont également une heure de CPC, marquant la fin du monopole des cours philosophiques traditionnels.

Ces changements sont historiques : pour la première fois depuis 1831, un tronc commun d’éducation citoyenne voit le jour pour tous les élèves des écoles publiques, quelle que soit leur confession.

En Flandre, le débat évolue aussi : en 2018-2019, le gouvernement flamand envisage de réduire de moitié les deux heures de cours de religion/morale dans les écoles officielles afin de libérer du temps pour un cours de citoyenneté active (Actief Burgerschap), mais le compromis aboutit à ce que ces deux heures restent, avec l’obligation d’y consacrer une partie à la « connaissance des religions et dialogue interconvictionnel » ainsi qu’aux valeurs civiques communes.

Par ailleurs, la Flandre formule pour la première fois des éindtermen explicites en matière de citoyenneté en 2019, fixant des contenus précis à maîtriser (comme comprendre la séparation des pouvoirs, les élections, les médias, etc.), ce qui représente un cadre de référence pour tous les enseignants. Au-delà des cours eux-mêmes, les écoles belges déploient de plus en plus d’initiatives pratiques d’éducation civique : élections de délégués de classe, conseils d’élèves avec un rôle consultatif réel, participation à des projets comme Schoolslag ou Écoles de démocratie où des établissements se jumèlent avec le Parlement pour des activités pédagogiques.

En outre, l’éducation aux médias et à l’esprit critique – intrinsèquement liée à l’éducation civique – devient une priorité affichée dans les deux Communautés, face aux enjeux des réseaux sociaux et de la désinformation.

En résumé, les années 2010 voient l’éducation civique s’institutionnaliser dans les cursus, répondant à un besoin de cohésion et de compréhension mutuelle dans une société diversifiée.

Justice sociale

Au cours des années 2010, la Belgique est confrontée à de nouveaux arbitrages entre la soutenabilité financière de son modèle social et la préservation d’un haut niveau de justice sociale. Le vieillissement de la population et la pression budgétaire amènent le gouvernement fédéral suédois (centre-droit, 2014-2018) à engager des réformes structurelles controversées.

La plus emblématique est le relèvement progressif de l’âge légal de la pension de 65 à 67 ans d’ici 2030 (décidé en 2015), mesure justifiée par l’allongement de l’espérance de vie mais perçue par les syndicats comme une régression sociale.

De même, la loi dite Loi Peeters de 2016 rend le marché du travail plus flexible (annualisation du temps de travail, assouplissement du recours aux heures supplémentaires), suscitant d’importantes manifestations syndicales.

Ces réformes, combinées à une modération salariale via le renforcement de la loi de 1996 sur la compétitivité, entraînent plusieurs grèves générales en 2014-2016, signe d’un débat intense sur l’équilibre entre compétitivité économique et justice sociale.

Malgré tout, la Belgique maintient globalement un bon niveau d’égalité : les indicateurs montrent une distribution des revenus relativement égalitaire (coefficient de Gini autour de 0,27, stable) et un taux de risque de pauvreté aux environs de 15 %, l’un des plus bas de l’UE.

Des initiatives visent en outre à renforcer la justice sociale dans d’autres dimensions : en 2013, une loi instaure des quotas de genre dans les conseils d’administration des entreprises cotées, pour favoriser la parité dans le privé ; en 2014, un plan de lutte contre la pauvreté infantile est lancé, ciblant notamment les familles monoparentales et les enfants en bas âge.

Parallèlement, la dimension communautaire de la justice sociale reste une question sensible : la Flandre, plus riche, exprime régulièrement des réticences à financer la sécurité sociale commune si elle estime que la Wallonie ne réduit pas assez son chômage, tandis que les francophones soulignent l’importance de la solidarité nationale.

Ce débat prend de l’ampleur en 2010-2011 lors de la longue crise politique, puis s’apaise temporairement avec la sixième réforme de l’État qui régionalise certaines compétences sociales (politique du placement des chômeurs, allocations familiales) pour mieux les adapter aux réalités locales.

En somme, les années 2010 sont marquées par des ajustements souvent douloureux de l’État social actif, mais la Belgique réussit à conserver l’essentiel de son contrat social, comme en témoigne sa place honorable dans les classements européens en matière de bien-être et de cohésion sociale.

Liberté des médias

Dans les années 2010, la liberté des médias en Belgique reste globalement élevée, mais de nouveaux défis viennent la mettre à l’épreuve. Les réseaux sociaux et la diffusion instantanée d’informations non vérifiées bouleversent le rôle traditionnel des médias : la profession journalistique doit faire face à la concurrence des fake news et à la défiance de certains publics vis-à-vis des médias « mainstream ».

Malgré cela, les enquêtes internationales montrent un maintien d’un bon niveau de confiance dans la presse belge.

Sur le terrain, quelques incidents ponctuent la décennie : lors de manifestations (par exemple les émeutes à Bruxelles en 2017 ou les protestations contre les mesures sanitaires en 2020-2021), des journalistes belges subissent des violences de la part de policiers ou de manifestants, ce qui suscite l’inquiétude des organisations de journalistes.

RSF note ainsi en 2023 que « les journalistes belges subissent des violences de la part de la police et des manifestants lors de rassemblements, ainsi que des menaces en ligne fréquentes ciblant surtout les femmes ».

Ces phénomènes nouveaux n’entament pas le cadre légal de la liberté de la presse, mais conduisent les rédactions à adopter des mesures de sécurité accrues et à exiger des autorités une meilleure protection lors des reportages sensibles.

Par ailleurs, les médias traditionnels continuent de jouer leur rôle de contre-pouvoir : des affaires politico-financières (Kazakhgate en 2017, Samusocial la même année) sont révélées par la presse, confirmant l’importance du journalisme d’investigation libre.

La fin de la décennie est marquée par une réflexion sur la déontologie à l’ère numérique : les conseils de journalisme renforcent leurs lignes directrices sur l’utilisation des réseaux sociaux et sur la nécessité de vérifier les informations circulant en ligne.

Participation citoyenne

La décennie 2010 est riche en innovations participatives en Belgique, souvent impulsées par les citoyens eux-mêmes pour pallier les carences de la politique traditionnelle.

En 2011, en pleine impasse gouvernementale (541 jours sans gouvernement fédéral), un groupe de citoyens et d’intellectuels lance le projet G1000, un sommet citoyen délibératif inédit rassemblant 704 « citoyens ordinaires » tirés au sort et réunis à Bruxelles pour débattre de sujets d’intérêt général pendant toute une journée.

Cette expérience, entièrement organisée hors des structures politiques, constitue la plus grande initiative de démocratie participative jamais tenue en Belgique : les participants du G1000 ont formulé des recommandations sur des thèmes comme la sécurité sociale, l’immigration ou la répartition des richesses, et un panel de suivi (le G32) a ensuite affiné ces propositions en présence d’experts, avec restitution aux responsables politiques en 2012.

Bien que le G1000 n’ait pas débouché immédiatement sur des décisions concrètes, il a eu un impact médiatique et symbolique fort, démontrant la capacité des citoyens à délibérer de manière informée et dépassionnée.

Parallèlement, d’autres mouvements citoyens émergent : dès 2010-2011, des collectifs locaux se créent (comme Tout Autre Chose/Hart Boven Hard en 2014) pour protester contre l’austérité et proposer des alternatives sociétales, organisant pétitions et manifestations culturelles participatives.

La fin de la décennie est marquée par la mobilisation inédite des jeunes pour le climat : en 2019, des dizaines de milliers d’étudiants bunkent les cours chaque jeudi (sous la bannière Youth for Climate) et défilent dans les rues de Bruxelles, Liège ou Gand pour exiger des actions vigoureuses contre le réchauffement climatique – une initiative spontanée conduite par des adolescentes comme Anuna De Wever, qui reçoit un large soutien de la population et entraîne la mise à l’agenda politique de nouvelles mesures environnementales.

Ces « marches climat » hebdomadaires, rejoints par des scientifiques et des parents (Teachers for Climate, Mothers for Climate), incarnent une nouvelle forme de participation bottom-up, en dehors de tout cadre partisan.

Sur le plan institutionnel, les pouvoirs publics commencent à embrasser l’idée d’associer les citoyens : en Région bruxelloise, une réforme de 2019 – stimulée par l’exemple du G1000 – introduit les commissions délibératives composées de citoyens tirés au sort et de parlementaires, chargées ensemble de formuler des recommandations sur des questions précises (la première commission de ce type aura lieu en 2021).

De son côté, la Communauté germanophone finalise en 2019 son décret instaurant un dialogue citoyen permanent, preuve que l’idée du tirage au sort s’inscrit désormais dans la loi.

Enfin, les outils numériques amplifient la voix citoyenne : la plateforme fédérale e-petitions.be (lancée en 2016) permet aux citoyens de soumettre des pétitions en ligne au Parlement, et plusieurs pétitions dépassent le seuil requis de 25 000 signatures, obligeant les députés à se saisir des sujets (pétition contre le glyphosate en 2017, etc.).

En somme, les années 2010 voient la participation citoyenne belge prendre des formes inédites, entre démocratie de la rue, démocratie numérique et premières institutions participatives, témoignant d’un renouveau démocratique en gestation.

Séparation des pouvoirs

Dans les années 2010, la Belgique traverse sa plus longue crise politique : après les élections de juin 2010, il faut un record mondial de 541 jours pour former un nouveau gouvernement fédéral, la coalition dirigée par Elio Di Rupo ne voyant le jour qu’en décembre 2011.

Cette impasse institutionnelle, due en partie à la montée du parti nationaliste flamand N-VA et aux divergences communautaires sur la réforme de l’État, débouche finalement sur la sixième réforme de l’État (accords de 2011, mis en œuvre en 2014) qui transfère d’importantes compétences supplémentaires aux Régions et Communautés (scission de l’arrondissement électoral Bruxelles-Hal-Vilvorde, régionalisation des allocations familiales, de certaines compétences en matière de soins de santé et de politique de l’emploi, etc.).

Cette réforme complexifie encore la structure de l’État, mais consacre l’égalité formelle entre tous les parlements (fédéral et fédérés) selon le principe de l’équipollence des normes.

Parallèlement, des innovations démocratiques émergent : en 2019, le Parlement de la Communauté germanophone (Deutschsprachige Gemeinschaft) adopte à l’unanimité la création d’un Conseil citoyen permanent, composé de citoyens tirés au sort, pour associer directement la population à son processus législatif.

Ce modèle d’Ostbelgien, inédit en Europe, institue une nouvelle séparation des pouvoirs horizontale entre représentants élus et citoyens délibérants.

La décennie voit aussi l’abdication du roi Albert II en 2013 au profit de son fils Philippe, sans incidence majeure sur le rôle constitutionnel du monarque : celui-ci reste un symbole d’unité et n’intervient plus que comme facilitateur lors des crises (rôle de « sage » dans les tractations), entérinant l’évolution vers une monarchie très protocolaire et respectueuse de la souveraineté parlementaire.

Transparence

Les années 2010 voient la transparence s’imposer comme un impératif démocratique, souvent à la suite de scandales retentissants. Plusieurs affaires de mauvaise gouvernance exposent au grand jour des pratiques opaques et choquent l’opinion.

L’affaire Publifin en Wallonie (dévoilée en 2016) révèle que des mandataires publics touchaient des jetons de présence exorbitants pour des réunions fictives dans une intercommunale – ce qui met en lumière l’opacité des structures parapubliques.

De même, l’affaire du Samusocial à Bruxelles (2017) montre que des responsables politiques se sont octroyé des rémunérations occultes via une ASBL d’aide aux sans-abri. Sous la pression de la presse et du public, des réformes sont rapidement adoptées : en Wallonie, un décret Gouvernance de mars 2018 renforce drastiquement la transparence et l’éthique dans les intercommunales (publication obligatoire de la liste des administrateurs et de leurs rémunérations, réduction de 30 % du nombre maximum d’administrateurs, interdiction des doubles casquettes rémunérées, etc.).

À Bruxelles, un Code de bonne gouvernance est mis en place, avec contrôle accru des dépenses et interdiction de cumuls abusifs dans le secteur public local. Par ailleurs, la technologie est mise au service de la transparence : le site web Cumuleo.be, lancé par un informaticien en 2009, compile chaque année les données officielles sur les mandats de tous les hommes et femmes politiques belges et les rend facilement accessibles au public, contribuant ainsi à un véritable contrôle citoyen de la classe politique.

Sur le plan fédéral, la Chambre et le Sénat poursuivent l’ouverture de leurs données : depuis 2014, les projets et propositions de loi sont consultables dans une base de données en ligne avec annotations, et un registre des lobbys actifs au Parlement est instauré en 2015. Globalement, à la fin des années 2010, la Belgique a considérablement amélioré sa note de transparence : elle figure parmi les meilleurs élèves de l’UE en matière d’accès à l’information et d’intégrité publique, même si la vigilance reste de mise face aux tendances à la dissimulation ou à la tentation de l’« entre-soi » politique.

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