◼︎ Belgique 1980–1984 : Anatomie d’un pourrissement silencieux
I. Le contexte : héritage plombé
Les années 1980 s’ouvrent sur une Belgique épuisée par les chocs pétroliers, endettée jusqu’à l’os, et minée par la fracture communautaire. Le pays peine à se réformer, coincé dans un modèle de compromis bloquant. En arrière-plan, le rideau de fer divise toujours l’Europe, et la crise mondiale s’enracine dans les périphéries industrielles du continent.
II. Économie : chute libre
- 1980 : Le PIB stagne, le déficit public dépasse les 10 %, la dette publique explose.
- Inflation galopante, taux d’intérêt élevés, désindexation partielle des salaires.
- Désindustrialisation massive : fermetures d’usines, démantèlements dans la sidérurgie, l’industrie textile, les charbonnages.
- Plan Global imposé en 1982 par le gouvernement Martens-Gol : coupes budgétaires drastiques, gel des salaires, chasse aux “assistés”.
“Le malade belge” entre en soins intensifs. Mais ce sont les classes populaires qu’on ampute.
III. Social : tensions et désespoir
- Chômage : de 6 % (1980) à plus de 13 % (1984).
- Grèves massives : SNCB, enseignement, sidérurgie.
- Apparition des “nouvelles pauvretés” : jeunes diplômés sans avenir, familles monoparentales sous le seuil de survie, ouvriers devenus chômeurs chroniques.
- Migration interne : exode vers Bruxelles ou vers l’étranger pour les Wallons.
La fracture sociale devient générationnelle. La jeunesse n’y croit plus.
IV. Politique : le règne de l’instabilité contrôlée
- Six gouvernements entre 1980 et 1984, presque tous dirigés par Wilfried Martens.
- Coalitions fragiles, marchandages communautaires constants.
- La réforme de l’État avance à coups de crises : lois de régionalisation, création de Communautés et Régions, mais sans projet fédérateur.
- Les partis traditionnels s’effritent : montée des extrêmes et défiance envers le système.
L’État belge devient un puzzle mou, où chaque pièce négocie son autonomie sans voir le tout.
V. Communautaire : fracture normalisée
- Flandre : montée en puissance économique, revendications identitaires, consolidation du néolibéralisme régional.
- Wallonie : effondrement industriel, mémoire ouvrière en lambeaux, montée du régionalisme de repli.
- Bruxelles : champ de bataille linguistique et politique, capitale sous tension, lieu de tous les compromis.
Une Belgique, trois réalités irréconciliables, tenues ensemble par la peur de l’explosion.
VI. Sécurité et radicalisation
- Naissance de la CCC (Cellules Communistes Combattantes) : 1984, attentats ciblés contre des symboles du capitalisme.
- Montée de la violence politique symbolique.
- Criminalité en hausse, sentiment d’insécurité dans les centres urbains.
- Surveillance policière renforcée, début des débats sur les “mesures exceptionnelles”.
La violence change de visage : du pavé syndical aux explosifs clandestins.
VII. Culture et opinion : l’anesthésie
- RTBF et BRT verrouillent l’espace audiovisuel public, tandis que la presse écrite se replie sur l’analyse convenue.
- La contre-culture survit dans les marges : punk, radios libres, fanzines.
- L’université entre en mode gestionnaire, les syndicats peinent à se réinventer.
- L’Europe reste un mirage technocratique.
Le peuple assommé regarde le pays se déliter… entre deux épisodes de Dallas.
VIII. Conclusion : seuil de rupture
1980-1984 marque un tournant silencieux. Le consensus social craque. L’État s’effiloche. Le politique devient gestionnaire. La société, elle, se referme sur des identités défensives.
> Ce qui ne s’est pas écroulé en 1984 a simplement été repoussé. À 1993. À 2007. À 2030 ?